Trois histoires consécutives pour comprendre pourquoi il faut faire preuve de prudence avec nos savoirs, leurs sources et nos supports de formation.
C’est l’histoire d’un support de formation.
C’est l’histoire d’un mec qui trouve une représentation visuelle percutante à l’une de ses propositions. Parce qu’elle est percutante, cette représentation est vite comprise et pour partie facile à mémoriser. L’histoire se poursuit : la représentation est reprise. Parfois elle est transformée. Souvent elle est présentée comme une vérité non négociable. Le mec a de la chance : son nom est cité. Mieux : la représentation de la notion porte son nom !
Mais… Il y a un mais ! Dans sa forme la plus répandue, cette représentation est démentie par les recherches en sciences de l’éducation. Mais parce qu’elle est facile à retenir, elle est toujours transmise.
Et bim ! On retient des notions trompeuses.
C’est l’histoire d’une formatrice trop peu prudente.
Elle me vexe cette histoire ! Parce que dans mon parcours de formatrice, j’ai découvert cette représentation et les notions qu’elle recouvre. Je les ai bien comprises et mémorisées.
À mon tour, formatrice de formateur·rice·s, je l’ai utilisée.
Et un beau jour : une collègue me dit « n’aborde pas ça, c’est un neuro mythe »… Sueur froide ! Tempête dans mon orgueil : j’aurais contribué à diffuser des idées fausses ?
Je me raccroche au réflexe heureusement pris lors de mon passage à l’université : je cherche pour vérifier. Ma collègue a raison (elle a toujours raison, en fait, c’est agaçant parfois !).
Une fois ce constat posé, il y a deux chemins possibles : s’obstiner dans l’erreur ou revenir dessus. S’obstiner dans l’erreur, ça ne fonctionne pas. Est-ce qu’en tant que formateur·rice·s nous ne devons pas faire preuve de rigueur intellectuelle ? Colporter des demi-notions ou des notions qui ne sont pas fiables, ne serait-ce pas tromper les apprenant·e·s, les fourvoyer dans leurs apprentissages et donc leurs pratiques futures ? Merci mais non merci !
Revenir sur son erreur ? Mais comment faire ? Est-ce qu’il est envisageable de retrouver la trace de ceux et celles à qui j’ai transmis cette notion trompeuse ? Non. Bon. Mais pour autant je peux arrêter de la véhiculer : la chaîne de transmission s’arrête à moi !
Depuis je n’utilise plus cette notion. À mon tour, j’explique : c’est un neuro mythe et voilà pourquoi. Je propose mes sources et d’autres notions, plus solides à la place.
C’est l’histoire d’un neuro mythe !
Cette histoire c’est celle du cône de Dale. Attention : si vous ne le connaissez pas, n’allez pas le chercher : ce n’est pas le moment de polluer votre cerveau avec un truc que vous ne voulez pas retenir !
Ce que Dale a voulu montrer avec ce cône c’est que la performance de mémorisation évolue selon la perception initiale en retenant le niveau d’abstraction des activités d’apprentissage comme critère. En gros, selon lui, plus les activités d’apprentissage sont concrètes mieux on retient. À l’inverse plus les activités d’apprentissage sont abstraites, moins on retient.
Le premier problème que pose ce fameux cône est que Dale n’a indiqué aucune valeur d’efficacité, ni cité de recherches. Sa proposition était donc intuitive.
Le deuxième problème de ce cône est qu’il a été simplifié et transformé : des valeurs de performance sont indiquées, des activités d’apprentissage sont précisées. Ce qui nous conduit à retenir des choses comme « on ne retient que X% de ce que l’on entend, mais X% de ce que l’on manipule ». On s’éloigne donc grandement de l’intention de Dale lui-même.
Et son cône pose un troisième problème, plus important encore. Aucune étude scientifique ne valide son intuition. La science valide en revanche l’idée que la variété des expériences sensorielles est un plus pour l’apprentissage, chaque forme peut être à son tour plus efficace que les autres selon les contextes.
Si vous souhaitez approfondir cette notion (et d’autres neuro mythes), voici un article à lire.
Prudence !
Mais au-delà du coup que mon égo a pu ressentir et de ma manière actuelle de discuter le cône de Dale, j’en retiens deux axes de prudence.
Prudence avec nos savoirs et leurs sources
D’une part, pouvoir citer ces sources est un impératif majeur en formation. Si nous souhaitons que les apprenant·e·s retiennent les savoirs que nous transmettons, autant qu’ils soient solides, éprouvés scientifiquement !
D’autant plus que raconter une étude, la donner à visualiser peut contribuer à ce que ses conclusions soient d’autant mieux mémorisées. Je pense que c’est ce facteur qui contribue à la célébrité de l’expérience de Milgram. Je raconte aussi souvent le protocole qui a permis à Kurt Lewin de mesurer l’effet de gel… Vous ne verrez plus les abats de viande de la même manière ! Des études scientifiques il en existe tellement : cela vaut sans doute le coup que nous nous documentions à leur sujet, selon les notions que nous avons à transmettre pour savoir les raconter !
Ce rapport aux sources de nos savoirs nous permet de transmettre des savoirs solides.
Prudence avec nos supports de formation
Depuis ma formation à la facilitation graphique, je suis attentive à chercher des images pertinentes pour illustrer enrichir les textes dans les supports de formation que je réalise. Mais alors…
Si un jour je trouve LA représentation visuelle parfaite d’une notion et qu’elle fait le tour du monde ? Il me faut bien être sûre des notions présentées ! Sont-elles scientifiquement valables ? Mes sources sont-elles indiquées sur cette représentation ? L’ensemble de la notion est-elle représentée ? Avec toutes ses nuances voire ses controverses ? Si la réponse à ces questions est non, je prendrais le risque de proposer un nouveau cône de Dale, quelque que soit le sujet…
Prudence donc !!
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