Il est temps que je vous explique pourquoi en tant qu’ingénieure pédagogique je refuse d’utiliser l’IA. Dans ma vie privée aussi d’ailleurs, mais ce n’est pas le sujet ! Voici mes trois arguments pour ne pas utiliser l’IA.
Pourquoi on en parle ?
Cela va faire un an que cela tourne en boucle dans le champ de la formation… Que faire si les apprenant·e·s se servent de l’intelligence artificielle pour rendre leurs travaux ? Est-ce que les métiers de l’ingénierie pédagogique sont menacés puisque ChatGPT peut créer des scénarios pédagogiques ? Et les formateurs et formatrices ? Est-ce que les apprenant·e·s peuvent poser leurs questions directement aux IA et se contenter des réponses fournies pour apprendre ? Beaucoup de questionnements qui soulignent des inquiétudes face à ce qui semble être un chamboulement profond.
Cela va faire un an que je n’ai pas touché à ces outils. En fait je ne les ai même pas essayés.
Récemment il m’a été demandé si je pouvais intervenir en formation de concepteur·rice·s de contenus de formation numériques au sujet des IA. J’ai refusé. J’ai expliqué pourquoi. Et j’en suis ressortie avec l’envie de vous partager mon raisonnement.
Bien sûr, je ne suis pas dupe, les IA sont déjà parmi nous, sous de multiples formes, plus ou moins discrètes. Il est évident que j’en ai un certain usage. L’algorithme de Linkedln pour commencer. Mais je refuse d’utiliser des agents conversationnels, dont ChatGPT fait partie, pour ne citer que celui par lequel tout cela a pris une ampleur… folle ?
Un premier argument pour ne pas utiliser l’IA : écologique
J’ai une petite idée de l’énergie et des matériaux qui ont été nécessaires pour en arriver là. Entrainer une IA c’est lui faire avaler une quantité de données astronomique, c’est donc fabriquer des ordinateurs pour cela et les faire tourner. Avec des matériaux et de l’énergie qui, bientôt, vont nous manquer. Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, n’hésitez pas à participer à un atelier de la Fresque Du Numérique ou à m’en demander un !
J’arrive après la bataille, tous ces outils sont déjà en place. Mais plus nous allons nous en servir, plus il va falloir en entraîner : pour que les IA soient plus performantes, plus pertinentes.
Pour limiter cette débauche de ressources, mon seul pouvoir de consommatrice est de… ne pas. Je ne veux pas raisonner mes usages. Je refuse d’en avoir.
Comme pour ma voiture : je ne me dis pas que mon SUV ne roule que plein de passager·ère·s de covoiturage, alors « ça va ». Je n’ai pas de SUV. C’est tout.
Un deuxième argument en défaveur de l’IA : social
Assez parlé machines ! Entraîner une IA ça n’est pas qu’une question de micro-processeur. Il y a des humains derrière les souris.
Des travailleur·se·s du clic qui sont souvent maintenu·e·s dans des situation de précarités pour que nos machines sachent reconnaître des images, des émotions, des faits et puissent agir en conséquence. À mes yeux, c’est une forme d’esclavage, que je ne souhaite pas entériner par mes comportements de consommatrice.
J’ajoute qu’au-delà des conditions de rémunération, je ne suis pas bien sûre que ce soit un type de travail qui puisse épanouir quiconque. Associer des noms à des images ou à des textes, ce n’est rien d’autre que du classement. Bon. Vous vous imaginez, vous, ne faire au travail que classer des trucs, sans fin ? Sérieusement ? Moi j’aime beaucoup classer, ranger des trucs, mais passés deux jours, je pense que je serais extrêmement heureuse de passer à autre chose…
Revenons rapidement à la fabrication des machines. À titre de rappel, hein : je ne serais pas longue. N’oublions pas que l’extraction des matériaux qui composent le numérique aujourd’hui impliquent souvent des conflits armés, le travail d’enfants (ils se faufilent mieux dans les mines), des risques sanitaires (il y a de la chimie à l’œuvre).
Si nous pouvions donc limiter les conséquences sociales de l’expansion du numérique aujourd’hui il faudrait fabriquer moins d’ordinateurs et entraîner moins (pas) d’IA.
Mon troisième argument contre l’IA : déontologique
Je suis formatrice et ingénieure pédagogique. À ces titres je vends mes compétences pour former des personnes ou proposer des scénarios pédagogiques qui permettront de les former. J’aime ce que je fais et je le fais bien. Quand je ne sais pas faire, j’ai à cœur de proposer une alternative à mes services. Je renvoie vers un ou une partenaire qui saura répondre aux besoins du client à ma place.
Bien sûr pour me faciliter la vie j’utilise des outils, en particulier pour mettre en forme les idées que j’ai. Lorsque je manque d’idées, de réponses, je sollicite mes pairs pour des échanges qui relanceront ma créativité. Je ne m’en cache pas. C’est sur cette partie de mon travail que je pourrais faire appel à des agents conversationnels. Ou pour la rédaction de mes articles de blog ou mes posts Linkedln.
Curieusement je choisis, résolument et définitivement de faire confiance à mon cerveau et à ses capacités d’apprentissage et à ceux de mes pairs plutôt qu’à des IA.
D’abord, j’ai la flemme de me former à l’art du prompt.
Parce que je préfère les discussions avec des être humains plutôt qu’avec des machines.
Parce que je préfère des références que je maîtrise ou une bonne anecdote tirée d’une expérience vécue pour soutenir mes propositions qu’une référence hallucinée par une IA.
J’ai donc aussi la flemme de vérifier tout ce que produirait pour moi un agent conversationnel !
Parce que je préfère pouvoir revendiquer mon travail plutôt que de la devoir à une machine dont je ne comprends pas tout le fonctionnement. Et donc parce que je me place dans une relation transparente et honnête avec mes clients et les apprenant·e·s que j’accompagne.
Alors, les agents conversationnels ? Merci mais… non merci !