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En simulation : fidélité or not fidélité ?

  • par
jeu de Légo : une autre simulation

Comment envisager une formation sans simulation ? Impossible ! Pourtant toutes les compétences ne demandent pas une fidélité parfaite de l’environnement de travail pour s’exercer. Alors comment ça marche ?

La simulation haute-fidélité

Dans le monde de la formation, le cas le plus connu de simulation, c’est celles que l’on réalise en santé. La reproduction d’une chambre d’hôpital pour s’exercer à certains soins ou à l’accompagnement des familles. La reproduction d’une salle d’opération pour s’exercer aux gestes chirurgicaux. Nous pensons aussi spontanément aux simulateurs de vol pour les pilotes.

Dans ces cas particuliers, la fidélité à l’environnement de travail est particulièrement recherchée. La simulation en elle-même est filmée et observée par les pairs. Le ou la formateur·rice peut intervenir pour modifier la situation. Par exemple en modifiant les paramètres du mannequin jouant le·la malade. Il ou elle intervient aussi parfois en termes d’étayage. L’étayage est une forme de tutorat. C’est ce qui favorise l’apprentissage chez l’apprenant·e en fonction de ses réussites et de ses difficultés au cours de la simulation.

Puis la simulation est débriefée par tou·te·s. On y vise la verbalisation de ce qui a été compris de la situation. Tout cela vise à en tirer des apprentissages explicites qui pourront servir en situation de travail. Ce domaine de formation, la simulation haute-fidélité, est l’objet de plusieurs travaux de recherche. Et première surprise ! Ces travaux mettent en évidence que la simulation en elle-même n’a pas beaucoup de valeur pour l’apprentissage si son débriefing n’est pas correctement conduit. Mieux encore ! Ce debriefing provoque de l’apprentissage pour celui ou celle qui a vécu la simulation ET par ceux et celles qui l’ont observée !

Ainsi il n’est pas absolument nécessaire que tou·te·s les apprenant·e·s vivent la simulation. Il est en revanche nécessaire qu’ils·elles y participent, a minima en tant qu’observateur·rice·s et participant·e·s du débriefing.

La simulation sans fidélité ?

La recherche sur les dispositifs de formation par la simulation implique d’autres surprises ! Il apparaît notamment que le réalisme des simulateurs n’est pas la seule garantie d’un apprentissage réussi ! En fait c’est plutôt la situation de formation dans son ensemble, plus que les caractéristiques techniques de la simulation qui permettent l’apprentissage. La ressemblance du mannequin avec un·e véritable malade ? La ressemblance des instruments avec ceux qui existent dans la vraie vie ? C’est accessoire ! Le plus important c’est que la situation de formation transpose correctement à l’espace de formation la situation de référence : celle qui pourrait être rencontrée dans la vraie vie.

Cela demande de fabriquer une situation de formation qui reprenne des caractéristiques de la situation de référence. Des caractéristiques, pas toutes ! Il est possible par exemple de sélectionner une partie seulement des tâches à réaliser, de les isoler des autres paramètres de la situation de référence. On parle alors de découplage. C’est ce qui se passe lorsqu’en simulation de vol, on n’aborde pas les interactions avec le personnel de cabine.

Une autre manière de faire est de réduire la complexité de la situation de référence. Par exemple en ne traitant que le décollage et pas la durée d’un vol long-courrier.

Mais au-delà des caractéristiques de la situation à traiter pendant la simulation, il est aussi important d’introduire la notion d’apprentissage. Cela semble évident ? Et bien, tout de même, ça va mieux en le disant ! La valeur de la simulation tient à son caractère de situation d’apprentissage. Ce n’est pas la vraie vie !

C’est pour cela que les interactions avec le·la formateur·rice y sont importantes ! Je parlais plus haut d’étayage. C’est le·la formateur·rice qui a la responsabilité de la conduite de la simulation et qui va pouvoir la focaliser sur tel ou tel aspect qui mérite un apprentissage pour cet·te apprenant·e. C’est aussi en permettant, l’explicitation de ce que l’apprenant·e perçoit et choisit de faire que l’apprentissage se réalise. Et ce pendant le déroulement de la simulation et surtout en phase de débriefing.

La simulation en dehors des simulateurs

Il existe d’autres formes de simulation en formation. Elles sont moins glorieuses. Au point qu’elles sont moins considérées comme de la simulation à proprement parler. Pourtant je ne peux m’empêcher d’y déceler des similitudes qui me semblent cruciales.

Jeux de rôle, mises en situation, expérimentations, donnez-leur le nom qui vous convient !

Lorsque l’on joue à reproduire une situation qui ressemble à la vraie vie, que l’on s’exerce à formuler les choses d’une nouvelle manière en formation de manager par exemple, que l’on s’exerce à animer un jeu en formation d’animateur·rice, autre exemple… Toutes ces situations de formation ont une valeur de simulation. Elles s’appuient toutes sur ce que Goffman a théorisé dans Les cadres de l’expérience. J’en ai déjà un peu parlé ici.

L’enrôlement

La première chose que nous apprend Goffman, c’est que toute situation peut être analysée sous deux angles à la fois. D’une part sous l’angle de ses dimensions cognitives : quel sens a la situation pour moi ? D’autre part sous l’angle de sa dimension opératoire : comment dois-je m’engager dans cette situation ? Cette dernière question n’est pas sans lien avec la notion d’enrôlement souvent questionnée en simulation. Comment faire en sorte que les apprenant·e·s jouent le jeu de la simulation ?

Cela tient en particulier au briefing. Ce temps qui précède la mise en situation comme la simulation. Il permet d’expliciter le contrat d’apprentissage de la situation à venir. C’est le moment où plusieurs choses sont clarifiées. Tout d’abord que la situation vise l’apprentissage. Et donc à quel point, ou plutôt par quels points, elle diffère de la future situation de travail. C’est également le moment de préciser les différentes étapes de la simulation et d’y inclure le débriefing. C’est enfin le moment de clarifier le statut de l’erreur : en donner une autorisation rare mais précieuse pour l’apprentissage. Puisque la situation d’apprentissage est un espace sécurisé, l’erreur est une occasion d’apprendre supplémentaire.

La modalisation

Goffman nous apprend également qu’une situation primaire peut être transformée par modalisation.

« une activité donnée, déjà pourvue d’un sens par l’application d’un cadre primaire, se transforme en une autre activité qui prend la première pour modèle mais que les participants considèrent comme sensiblement différente ».

Erving Goffman

Parmi les modalisations possibles définies par Goffman, c’est la troisième qui retient mon attention. Il s’agit des réitérations techniques, où on exécute une séquence d’activités en-dehors de son contexte naturel pour l’apprentissage, l’entraînement, la démonstration.

En formation, c’est ce que nous faisons tout le temps ! Nous prenons une situation et en faisons une situation d’apprentissage où le faire semblant est essentiel pour se projeter vers les situations de travail réelles. C’est ce que fait l’apprenti·e peintre lorsqu’il·elle s’applique autant dans sa cabine au CFA que sur le chantier.

Toutes ces situations de formation s’appuient sur l’idée que plus les apprenant·e·s s’exercent à réaliser quelque chose (geste technique ou compétence douce), plus il leur sera possible de le faire en situation de travail. C’est une manière d’exercer des compétences : situer ses connaissances et ses savoirs faire en situation, au plus près de ce que sera la vraie vie professionnelle. Oui je sais : « situer en situation », c’est un magnifique pléonasme ! C’est pourtant une caractéristique essentielle des compétences : n’avoir de valeur que « situées » !

Alors, en formation, je n’utilise pas de simulateur, certes. Mais tous les principes liés à la notion de simulation et que j’ai tenté de décrire ici font partie de ma boîte à outils de formatrice !