Le flow de la formatrice
Alors, certes, j’ai principalement été formatrice dans un contexte particulier : la formation d’animateur·rice·s dans le contexte du parcours BAFA*. Le jeu occupait ainsi une place centrale dans la semaine de stage. Le jeu, le plaisir, la vie : animer, c’est mettre de la vie et donc former aux fonctions d’animateur·rice·s aussi.
Légèreté et amusement quotidiens étaient conviés. Mais le sérieux aussi : chaque jeu étant une mise en situation, une expérimentation pour les stagiaires, l’occasion de tester des compétences en cours de construction, pour les analyser et les parfaire immédiatement.
C’est ce que E. Goffman décrit comme une modalisation d’un cadre primaire en une réitération technique : une séquence d’activités est répétée en dehors de son contexte naturel dans le but de l’apprentissage. Le jeu dont la strate profonde est faite de ses règles et de sa finalité (gagner, coopérer, etc.) gagne donc lors des formations d’animateur·rice·s une strate supplémentaire, externe, celle de son statut d’entrainement.
Qu’est-ce que j’ai aimé ces semaines ! Denses car sérieuses donc, et fatigantes. Mais malgré cette fatigue, quel plaisir ! Quelle concentration dans l’observation des compétences émergentes chez les stagiaires ! Ce sont sans doute les semaines de ma vie où mon téléphone est resté le plus en mode avion. Immersion totale ! Et bénévolement. Que se passait-il donc ? Le flow, justement.
Le flow, décodage
Le flow est décrit dès 1975 par M. Csikszentmihalyi. J. Heutte en parle très bien : « Il s’agit d’un état d’épanouissement lié à une profonde implication et au sentiment d’absorption que les personnes ressentent lorsqu’elles sont confrontées à des tâches dont les exigences sont élevées et qu’elles perçoivent que leurs compétences leur permettent de relever ces défis. Le flow est décrit comme une expérience optimale au cours de laquelle les personnes sont profondément motivées à persister dans leurs activités. »
Voilà, j’ai vécu ça. Je me sentais compétente, impliquée, absorbée face à ce défi intense à relever durant chaque stage. Et je ne l’ai pas vécu qu’une fois. Et d’y avoir goûté donne envie de reproduire cette sensation.
« Mais ça n’a rien à voir avec le fait de se lancer dans l’e learning ! » me direz-vous ! Non, ça n’a rien à voir. Mais le flow ne se caractérise pas par un type d’activités dans lequel il survient : « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » dirait l’ami Alfred de Musset.
Je ne suis d’ailleurs pas sûre que j’aurais parié sur cette ivresse lorsque j’ai commencé le premier travail de développement de module d’e learning qui m’ait été donné de réaliser. Cela semble rébarbatif : être coincée devant son ordinateur à chiader des détails pour que la charte graphique soit respectée, à se demander s’il vaut mieux une infobulle au survol ou au clic, si la maison doit être en haut à gauche ou en bas à droite… Je vous parle mandarin du XXIIème siècle, là ? Normal, moi non plus au début, je n’y comprenais rien !
Et puis d’efforts en acculturation, des réflexes se prennent, je me prends au jeu et je réalise qu’il est 21h et tout un régime de bananes et que j’y suis encore, à chercher les bonnes formulations, les bons visuels, à refaire une prise de son… C’est le retour du flow ! Et cette fois-ci il est double !
Le flow retrouvé de l’ingénieure pédagogique
Mon flow est double dans mon activité de conceptrice de modules d’e learning parce que c’est le mien. Je retrouve dans le fait de concevoir et de développer ces modules un défi exigeant qui correspond à mes compétences, et les surpasse parfois. Du confort, du challenge aussi, des choses à apprendre, des progrès à faire sans cesse. Et j’aime ça, buter sur des difficultés et donc apprendre encore.
Et mon flow est double parce que mon activité vise à en créer un, de flow : pour les apprenant·e·s qui utiliseront les modules que je conçois. Et oui : le flow existe aussi en apprentissage !
Le flow poursuivi pour les apprenant·e·s
J. Heutte parle de « l’émotion de s’apercevoir que l’on comprend » : ce moment où soudain tout s’éclaire, paf ! on apprend. Ce moment magnifique espéré par tou·te·s les formateur·rice·s pour les apprenant·e·s, enfants comme adultes qu’ils et elles accompagnent…
« Le flow est ressenti par exemple quand l’ensemble des actions à réaliser pour comprendre, notamment celles qui réclament une attention particulièrement soutenue, semblent couler de source, avec une telle fluidité qu’à aucun moment l’apprentissage ou la compréhension ne seront interrompus par une quelconque inquiétude concernant ce qu’il faut faire pour y parvenir ou ce que les autres pourraient en penser. »
Ce flow-là a quatre dimensions :
- le contrôle cognitif : lorsque l’apprenant·e a les moyens de réaliser l’activité d’apprentissage ;
- l’immersion et l’altération de la perception du temps : il ou elle n’a plus les yeux rivés sur l’horloge ;
- l’absence de préoccupation à propos du soi : qui peut prendre la forme de l’oubli des besoins même les plus primaires mais aussi qui exclut le doute du type « qu’est-ce que je vais faire de ça ? » ;
- l’expérience autotélique : le bien-être, le fameux plaisir qui repointe là le bout de son nez.
Ça fait rêver, non ? Et c’est possible ! Nous le savons parce que nous l’avons tous et toutes vécu. Que ce soit en apprenant nous-même ou dans nos activités de formations : quand la pédagogie est active, quand on a choisi les bons outils, quand on réussit à susciter de la curiosité, de la surprise, que l’engagement se met en place…
Et l’e learning permet cela aussi. Notamment parce qu’il reprend certains des codes du divertissement. Ça c’est une autre histoire. On en parle dans un prochain article ?
Voilà, c’est ça mon métier maintenant : vivre le flow dans les moments de conception et de développement pour que les apprenant·e·s expérimentent le flow d’apprendre par le biais de modules d’e learning. Et je vous garantis que j’adore ça !
On en reparle quand vous voulez ! A bientôt !
* BAFA = Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur·rice·s
Sources :
- Heutte, J. (2019). L’autotélisme-flow: un déterminant fondamental de la persistance à vouloir comprendre, apprendre et se former tout au long de la vie.
- Goffman, E. (1991). Les cadres de l’expérience.